Le drame Vincendon
et Henry
par Jean Boulet, Gérard Henry et Jean-Marie Potelle
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J’ai eu, à maintes reprises,
l’occasion de raconter ce drame dans plusieurs revues aéronautiques et j’ai
également participé à un film de Denis Ducroz appelé « Les Naufragés du Mont-Blanc
» passé sur FR3 et FR5
». Aujourd’hui, je vous propose, grâce à mes amis
Jean Boulet et Gérard Henry, de vous rapporter des extraits du rapport qui a été
fait aux essais en vol le 7 janvier 1957. Ils m’ont gentiment prêté ce dernier
et autorisé à
prendre dedans les moments qui me semblaient intéressants. Nos deux brillants
Pilotes d’Essais de Sud Aviation plus Henri Petit, ingénieur navigant d’essais,
ont été sollicité le 2 janvier et ont rejoint Genève par avion. |
Pour mémoire, Jean Boulet détenait le record du monde
d’altitude sur hélicoptères avec 8209 m, Henri Petit l’avait, quant à lui,
accompagné en 1956 pour un sauvetage au refuge Vallot, le premier au dessus
de 4000 m donc son aide pouvait être précieuse. Quant à Gérard Henry, il
avait une connaissance très reconnue du vol en montagne sur hélicoptère.
Voilà pour les présentations. Mais laissons parler Jean Boulet.
...
« Les Alouette 2 N°7 et 13
étaient arrivées de Mont de Marsan et s’étaient posées à Chamonix vers 16
heures.
Le 3, nous sommes montés au
levé du jour, là où se trouvaient les appareils. Temps magnifique, sans nuage
et sans vent. La température était de -12°. On finissait d’installer entre
les patins l’entrelaçage des cordes. Les Alouette qui n’avaient pas leurs
bâches, avaient eu les pales enduites de glycérine la veille au soir pour
éviter le givre. Ce procédé a été efficace, le léger dépôt de givre est
parti sous l’influence de la force centrifuge quand le rotor s’est mis à
tourner. Par contre, quelqu’un a eu l’idée malheureuse d’enduire les plexis
de glycérine et si le givre est bien parti il est resté une couche du
produit en question qui n’a pu être enlevé ni par des chiffons ou cotons.
Il a fallu quand même
décoller avec la N°13, Petit étant à bord, la visibilité était déplorable.
Par crainte du froid, on annonçait -35° à Vallot, j’avais gardé les portes.
Après 13 minutes de montée, je survolais le Vallot, 4362 m, encore dans
l’ombre pour repérer la direction du vent. Trois passages m’ont montré que
celui ci était nul, mais il m’a fallu trois présentations pour me poser en
raison du brouillage de la vision à travers le plexiglas. Henry, qui avait
eu la meilleure idée d ‘enlever les portes, s’était posé 2 minutes avant
avec la N°7 à sa deuxième présentation.
Le Commandant Santini, qui
attendait sur la plateforme d’atterrissage a été embarqué sur la banquette
arrière et l’appareil a décollé immédiatement. Je me suis posé après et ai
attendu l’arrivée des guides dont l’un était assuré par les autres au moyen
d’une corde. La porte gauche a été enlevé, le siège relevé et Blanc
complètement inerte étendu et recroquevillé dans le fond de la cabine.
Quelques minutes plus tard, je le déposai à l’hôpital de Chamonix.
Deux rotations
supplémentaires ont été nécessaires avec les deux machines pour redescendre
les six guides et leur matériel. Il était alors 10 h 30. Il restait les deux
alpinistes enfermés dans le Sikorsky à 3800 m d’altitude sur le Grand
Plateau. Le Grand Plateau forme une vaste cuvette qui est l’amorce du
Glacier du Géant. Dans celle-ci s’accumule sur une énorme épaisseur toute la
neige très poudreuse qui descend des crêtes sous l’action du vent du sud.
C’est cette neige qui a aveuglé le pilote du Sikorsky lorsqu’il est passé en
vol stationnaire pour se poser près des deux garçons.
Afin de ne pas vivre la
même expérience, une seule solution, se tenir en vol stationnaire hors effet
de sol, soit 10 à 15 mètres et faire descendre, faute de treuil, par une
échelle de corde un guide. J’ai redécollé avec la N°13 avec le Commandant
Le Gall, Commandant l’École de Haute Montagne, pour reconnaître cette
possibilité. Une échelle de corde de huit mètres était fixée aux patins. Nous
sommes allés tourner autour de l’épave puis nous mettre en stationnaire à 15
mètres au-dessus déclenchant une superbe avalanche en aval. Henry, dans la
N°7 tournait au-dessus pour surveiller l’opération.
En raison de l’augmentation
brusque de la pente du glacier à l’emplacement du Sikorsky, toute la partie
environnante est entrecoupée d’immenses crevasses en partie recouvertes de
neige fraîche. Le Commandant Le Gall a jugé trop dangereux de faire
descendre un seul homme, une cordée était nécessaire. Cette cordée ne
pouvant descendre de l’hélicoptère en vol stationnaire, elle aurait dû être
transportée au col du Dôme et sa descente vers l’épave était loin d’être
sans risque. Henry, fort de sa grande expérience du vol en montagne en
hélicoptère, à son tour, a tenté une approche et un vol stationnaire bas au
dessus de l’épave soulevant un énorme nuage de neige poudreuse démontrant
ainsi l’impossibilité de l’opération espérée. Après ces dernières tentatives
la décision fut prise par les autorités et la famille de suspendre les
opérations de sauvetage
».
MOYENS HELIPORTES MIS EN ACTION
-
1 Sikorsky H 19 (S 55)
- Pilotes: PETETIN / DUPRET
- 1 Sikorsky H 34 (S 58)
- Pilotes : SANTINI / BLANC
- 2 Alouette 2 (SE 313 B) - Pilotes : BOULET /
HENRY assistant Henri PETIT
POINT DE VUE TECHNIQUE
L’absence totale de vent a
facilité les choses supprimant toute turbulence. Mais elle imposait une
technique d’approche bien définie : approche très basse avec réduction très
progressive de la vitesse. D’autre part, elle demandait le maximum de
puissance à la turbine.
La plate forme était de la neige glacée et
les cordes empêchaient l’appareil de glisser. Les poids au décollage ont
atteint, avec les guides et leurs sacs, des valeurs très supérieures à
celles qui sont données dans le manuel de l’équipage : 1340 kg au lieu de
1150 kg (chiffre limité par l’efficacité du palonnier). Grâce à l’emploi
momentané du régime de 34 500 à 35 000 tr/mn au décollage, la T4 ne
dépassait pas 500°. Avec une température de -18° on était dans les limites.
Pour ne plus être limité par l’efficacité du palonnier il faudra modifier le
boîtier pour augmenter les incidences limites et lancer un jeu de pales
plus profondes. La régulation était correcte jusqu’à l’altitude du Vallot
pour la N°13, en revanche celle de la N°7 était encore à l’ancien réglage
et le régime turbine devait être réduit par la manette de débit en
autorotation. Henry était au fait de la manœuvre a effectuer mais cela
rendait le pilotage encore plus pointu. Le problème du givrage est très
important et une solution doit être trouvée (papier Nomist) parallèlement
aux radiateurs soufflants. Un
bon équipement permet de voler avec une porte enlevée. Le démarrage des
turbines sur leur batterie de bord, par -12° n’a présenté aucune difficulté,
ni sur la N°13 à démarrage manuel, ni sur la N°7 à démarrage automatique.
REMARQUES SUR L’HÉLICOPTÈRE
DE SAUVETAGE
L’Alouette a confirmé qu’elle est le meilleur
appareil grâce :
- A ses performances en altitude
- A sa visibilité
- A sa cabine spacieuse
- A son régulateur qui facilite le pilotage
et empêche toute perte de régime
Par contre elle devra être équipée d’un
treuil pour pouvoir tirer les rescapés sans avoir à se poser quand le
terrain ne le permet pas. Il faudrait avoir un filet de cordages tout
préparé s‘enfilant par l’avant des patins et s’attachant rapidement par
l’arrière.
Pour le sauvetage dans les Alpes, il faudrait prévoir :
- 2 hélicoptères au Fayet, pour les
opérations dans le massif du Mont Blanc et de la Vanoise
- 2 hélicoptères à Grenoble pour les
opérations dans le Pelvoux et le Massif de Bellegarde.
Entre les opérations de sauvetage, les
appareils pourraient être utilisés à du transport de matériel (barrages,
refuges, téléphériques, etc…). Par exemple l’Alouette peut transporter 250 kg de Chamonix au Refuge Vallot en 25 minutes aller et retour, ce qui fait,
à 42 000 francs de l’heure, 70 francs par kg, chiffre imbattable. Ce
rapport date du 7 janvier 1957, des choses ont été entendu depuis.
Merci
infiniment à
Jean Boulet, Gérard Henry et
J-M Potelle pour le récit et les détails de ce
drame resté dans toute les mémoires... |
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Quelques dates et chiffres
- 1921 Durafour se pose au Dôme du Goûter en Caudron G3
- 1955 Jean Moine se pose au sommet du Mont Blanc avec un Bell 47 G2
- 1956 Jean Boulet et Henri Petit
récupèrent un blessé au Refuge Vallot 4362 m
- 1957 Jean Boulet / Gérard Henri
récupèrent pilotes et guides au Vallot
- 1960 Henri Giraud se pose au sommet du
Mont Blanc en avion PIPER de 150 cv
- 1961 Potelle / François se posent du
Sommet du Mont-Blanc Alouette 2 Gendarmerie
- 1961 Potelle / François se posent au
sommet de l’Aiguille Verte 4121 m
- 1964 Mise en place de la
Base d’Annecy Protection Civile
- 1967
Premier Hélitreuillage au Sommet du Grépon Graviou / Rouet Protection Civile
- 1972
Mise en place de la base de Megève Gendarmerie
Chiffres
- 170 battements par minutes, c’est ce que
le cœur de certains pilotes donne lors d’un treuillage
- 8620 treuillages c’est ce que
Didier Méraux a effectué lors de ses
sauvetages dans le massif
- 32 ans c’est ce que
Bravo Lima de la
Gendarmerie a vécu à Chamonix
...
Les autres liens
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la récupérations des
éléments de l'épave du H-34
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toujours vivants 50 ans après..."
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et Henry : hommage aux deux infortunés alpinistes"
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« Les Naufragés du Mont-Blanc
»
L'histoire complète de ce drame de la
montagne est relatée en détails dans le livre de Yves
Ballu:
Naufrage au Mont-Blanc.
documents extraits des archives personnelles de
Jean-Marie Potelle
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