Issy-les-Moulineaux, du champ de manœuvres à l’héliport
par Jean-Marie Potelle - photo panoramique © Pierre Poupardin
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Si l’Héliport de Paris est
aujourd’hui installé sur les terrains d’Issy-les-Moulineaux et du quinzième
arrondissement de Paris, il le doit à la Tour Eiffel. En effet, sur le tard du
dix-neuvième siècle, vers 1880, lorsque que fut décidée la construction de la
Tour Eiffel, monument symbole de l’Exposition Universelle de 1889, c’est le
Champ de Mars qui fut choisi, face au Palais de Chaillot. Elle devait être
érigée sur un terrain qui comme son nom l’indique était voué depuis des lustres,
aux manœuvres des militaires, dont l’école est toute proche. |
Mais le Champ de Mars
appartenant depuis 1792 aux militaires et en particulier à la cavalerie qui
s’y entraînait, il fallut les déloger, provisoirement, et leur trouver un
terrain d’entraînement proche en échange. La durée de la migration était
fixée à cinq ans. Ensuite, l’exposition passée, la Tour Eiffel devait être
détruite, et les cavaliers retrouver leur terrain. Mais en raison du coût
élevé de la construction de Monsieur Eiffel, et sans doute aussi devant son
succès lentement reconnu, l’État décida d’en concéder l’exploitation à
Gustave Eiffel lui-même, pour une durée de vingt ans, afin qu’il puisse se
rembourser en partie par le prix des entrées. Exit les militaires qui se
virent proposer un grand terrain, en pleine campagne parisienne, à
Issy-les-Moulineaux, d’une surface de cent vingt hectares. Le 29 mars 1890,
passant du provisoire au définitif, ils obtinrent finalement la concession
d’une partie seulement du champ de manœuvres, une surface de soixante-trois
hectares, ce qui était néanmoins considérable. Le « camp », rattaché à la
capitale, était limité au Nord par les fortifications construites sous le
règne de Louis Philippe. Aujourd’hui seul le « Bastion 68 » reste le témoin
de cette époque.
Comme on le sait,
l’aviation naquit de la cavalerie, dans les armées, d’où la tradition qui
veut que l’on « monte à gauche », mais il n’y a sans doute pas de rapport
avec la naissance de la vocation aéronautique du site qui s’affirma dés le
début du siècle dernier. Les grands cerfs-volants
d’Octave Detable ornaient le ciel de l’époque et Issy, remarqué par quelques
passionnés de l’aviation naissante sera le départ de la grande aventure de
l’Air. Si en 1890, Clément Ader
fit ses premiers vols à Gretz-Armainvilliers puis à Satory, dés après 1903,
après l’exploit reconnu des frères Wright à Kitty Hawk, des français
commencèrent à faire voler leurs aéroplanes. En 1905, le mécène Ernest Archdeacon, obtient le premier des autorités de faire voler son planeur
biplan Voisin en ce lieu, il s’agit en particulier d’éloigner -déjà- les
machines volantes, des ballons à l’époque, du survol de Paris, Vaugirard,
Bagatelle, Meudon, Saint Cloud. Le terrain en ce temps là
avait la forme d’un triangle dont la base allait du Viaduc d’Auteuil (Pont
de Garigliano) jusqu’à la Porte d’Issy, soit 1000 mètres, le somment
pointant vers le sud. Les axes prévus pour le
décollage et l’atterrissage avaient, suivant la direction du vent, des
longueurs de 600 à 800 mètres. Aucun obstacle n’était alors en vue, excepté
la cheminée de la blanchisserie de Grenelle qui culminait à quarante trois
mètres.
Le 26 mars 1905, c’est le
premier vol du planeur d’Archdeacon tracté par une automobile équipée d’un
moteur de soixante chevaux. Celui ci, lesté de soixante kilos, s’élève
quelque peu puis se brise.
En 1906, un certain
Trajan Vuia fait voler son monoplan prototype, sur 24 mètres et s’élève à
2,50 mètres, c’était son premier vol comme celui de son appareil. Et cela
s’achève par une bonne chute.
1907 est une année
chargée : le 17 septembre, Louis Blériot sur son monoplan tandem Aéroplane
VI Libellule parcourt 184 mètres à 80 km/h. Henri Farman franchit en Octobre
771 mètres, Santos-Dumont effectue des sauts de puce, après ses essais
restés célèbres de Bagatelle.
Le 13 Janvier 1908, Henry
Farman boucle le premier kilomètre en circuit fermé sur un appareil Voisin à
moteur Antoinette, emportant le prix Deutsch-Archdeacon. Un monument sculpté
par Landowski sera d’ailleurs mis en place en 1933 à l’entrée du terrain
pour commémorer cet exploit. Les records se suivent, on atteint les trois
kilomètres de distance, les vingt minutes de vol successives, on approche
les cent mètres de hauteur… et à Viry-Châtillon va naître Port-Aviation, une
sorte d’aérodrome-théâtre consacré aux meetings d’aviation, aujourd’hui
disparu.
Fin 1908 en France le
record de distance établi par Wilbur Wright atteint les 124 kilomètres en
2 heures et 20 minutes de vol. 1908 encore, le
gouverneur militaire de Paris interdit l’usage du terrain parce que des
riverains ont peur de ces avions qui volent si mal et si bas. Blériot en
quelques semaines a fait deux chutes, et les autres, finalement
l’interdiction est levée mais les vols auront lieu de 4 heures à 6 heures du
matin et ils seront surveillés par « un brigadier et huit hommes ! ». Cette
interdiction ne va heureusement pas durer, Farman et Blériot on besoin
d’essayer les avions qu’ils construisent sur place et à proximité. Un
Blériot traverse la Manche en 1909.
1910, la première course
internationale en aéroplane Paris-Bruxelles prend le départ d’Issy.
En 1911, c’est la première
course Paris - Madrid qui est remportée par Jules Védrines – il se rendra
célèbre après guerre en se posant sur le toit des Galeries Lafayette – mais
la fête est aussi endeuillée par la mort du Ministre de la guerre, Maurice
Berteaux, frappé de face par l’hélice d’un concurrent au décollage. Premier
drame public de l’aviation naissante.
Le 3 août 1913 se déroule
le premier vol amphibie (le flotteur et l’hydravion on été inventés par
Henri Fabre en 1910) Issy-Boulogne-Issy sur le Canard Voisin piloté par Colliex.
Les curieux affluent de
plus en plus nombreux, attirés par ce nouvel et étonnant spectacle. C’est le
temps des faucheurs de marguerites !
Tous ne sont bien sur pas
Parisiens. Parmi les curieux, la presse de l’époque signale notamment la
présence régulière d’un certain Vladimir Illich Oulianov, exilé de Russie et
habitant Paris dans le 15ème. Il entrera peu après dans
l’histoire sous le nom célèbre de « Lénine ».
Les premiers ateliers de
constructions aéronautiques se développent, ils ont des noms prestigieux
tels Voisin, Blériot, Nieuport, Caudron. Et pas loin dans le
16° arrondissement de Paris, l’atelier de construction d’avions (oui, lui
aussi) utilise la première soufflerie imaginée par Gustave Eiffel.
Sur le « camp
d’aviation d’Issy », des hangars pour dirigeables sont construits et pour
sa part la société S.E.V (futur Marchal, électricité automobile puis
aviation) s’implante en 1914 pour pallier le manque de magnétos et dynamos
alors fournies par l’Allemagne.
Des liaisons aériennes
postales avec Bruxelles et Deauville voient progressivement le jour. Des
écoles de pilotage pour les aviateurs s’ouvrent sous l’égide de célébrités,
notamment par Blériot. Elise Deroche (dite Baronne de Laroche) obtient en
1910 le brevet de Pilotage numéro 36 sur Voisin et devint ainsi la première
française brevetée pilote.
Près de 3000 salariés ont
été simultanément employés avant la guerre de 1914 sur cette vaste
superficie où l’on trouvait ateliers de chaudronnerie, de petites mécanique, d’entoilage et de scierie pour la fabrication des carlingues essentiellement
en bois à cette époque.
1918 voit la fin de la
guerre et la disparition des fortifications. Le Champ de Manœuvre se
trouvait entre les Bastions 68-69-70. Les Marins vont s’installer dans le
Bastion 69, soit 3,5 hectares. Le Ministère de l’Air, récemment crée, se
verra attribuer le Bastion 70, ce qui va permettre aux militaires de
conserver l’aérodrome dont les civils revendiquent la restitution. La guerre
étant terminée, à leurs yeux ce terrain militaire n’a plus aucune utilité.
Dans les années 1920, à
Issy, en plus de nombreux vols d’avions, des essais d’hélicoptères ont eu
lieu, en particulier ceux effectués par le Marquis de Pescara sur les
prototypes de sa construction dés 1922. Il mettra au point la commande de
pas cyclique et réalisera un bond de 736 mètres.
Ces sauts de puces seront
effectués, mais rien de bien concluant. Issy n’est plus le seul
terrain, Le Bourget crée en 1914, se développe rapidement. Paris s’étend déjà autour
de l’ancien champ de manœuvres. Des HLM vont apparaître sur un hectare dés
1931. 1940, Issy sert de base
aux avions de l’État Major pour les liaisons. Le terrain est rapidement
bombardé par la Luftwaffe qui en prend possession dés la France occupée pour
y baser des avions. Des Caudron Simoun et Goéland resteront stockés sous
surveillance Allemande. 1944, après la libération
de Paris, l’Armée de l’Air revient, construit un bureau de piste et utilise
un hangar pour y mettre à l’abri ses Nord 1000 Pingouin et Nord 1100 Ramier.
Mais les appareils
nouveaux ont grossi, ils nécessitent de longues pistes et des
infrastructures plus adaptées, ils sont nombreux et bruyants. Pour les
bimoteurs la piste est clairement trop courte, bien qu’un Douglas DC 3 ait
réussi à s’y poser. Ce départ fut à ce qu’on dit acrobatique, car depuis
l’arrivée de la cavalerie en 1890, des obstacles nombreux et hauts avaient
poussé aux alentours. Cinq nouvelles cheminées en particulier s’étaient
ajoutées en plus de celles des immenses l’Usines Citroën, Quai de Javel.
L’approche était devenue dangereuse par mauvais temps.
24 Octobre 1945, la
création de la Société Nationale « Aéroport de Paris » permet à l’État de se
décharger des problèmes d’aviation dans la Région Parisienne. Cet
établissement Public dispose de ses propres deniers et gère toutes les
plateformes alentours de Paris, dont l’aérodrome de Paris-Issy. Le seul
accessible par le métro (Balard) !!!
Monsieur Louis Lesieux,
Directeur Général d’ADP, sera dit-on très mal accueilli à Issy lors de sa
première visite. Les usagers sont inquiets. Néanmoins il fera construire un
nouveau bureau de piste, monter une girouette de 30 mètres de haut pour
saisir le vent et imposera une fréquence radio, 118 .50 Mhz, celle qui est
toujours active aujourd’hui.
En 1949, l’aérodrome est
officiellement affecté à l’Aviation Civile, mais les avions se font de plus
en plus rares. Les restrictions sont nombreuses. C’est alors que
l’hélicoptère va vraiment apparaître. Plusieurs sociétés de Giraviation
viennent s’installer dont Fenwick Aviation, son chef pilote est
Jean Moine,
titulaire de nombreux records les années suivantes, qui importe le Bell 47, Hélicop-Air dirigée par Henry Boris qui lui importe le Hiller 360 enfin la
société Héliservices. De bonne grâce, l’Armée de
l’Air a laissé la place aux Aviateurs civils. Boris va installer à
Cormeilles en Vexin, son école pour la formation des pilotes de l’Armée de
l’Air,
Fenwick va former à Issy les équipages de l’ALAT, Gendarmerie,
Protection Civile, Aéronavale, EDF, et quelques privés.
1952, verra la
première
Coupe Internationale d’Hélicoptères avec deux épreuves, temps de montée à la
Tour Eiffel et vol de précision Issy-Vincennes-Versailles-Issy dont
Jean Moine et Gérard Henry finirent à égalité et se partagèrent la victoire.
En 1953, les avions
disparaissent définitivement de l’aérodrome. Les constructions nombreuses
sur les parcours d’approche et à proximité causent trop de problèmes aux
pilotes comme aux riverains.
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En 1957, demeurent sur
l’aérodrome, Fenwick avec ses Bell 47, le Commandement de l’ALAT avec Bell
47, Alouette 2, Sikorsky H 19 et Vertol H 21 et un petit hangar pour la
Protection Civile qui en est à ses balbutiements grâce au Colonel Curie.
Déjà, pour ne pas
empoisonner le voisinage, l’école de Jean Moine disposait d’un terrain
d’entraînement aménagé à Crespières non loin de Beynes, au delà de Trappes.
Cette année là 57 000 mouvements étaient répertoriés.
Puis c’est l’événement,
la renaissance : En mars 1957, Sabena ouvre une ligne de transport de
passagers entre Paris et Bruxelles avec des Sikorsky S 58, appareils de 12
places, qui permettent de relier les capitales en une heure et quinze
minutes de vol ! C’est à l’occasion de
l’Exposition Universelle en Belgique que démarre cette liaison qui ira
cahin-caha, puis s’arrêtera en 1962, faute de rentabilité. Deux allers
retours quotidiens étaient programmés. C’est à cette occasion qu’une
aérogare a été montée sans tambour ni trompettes pour ne pas ranimer les
vieilles querelles locales.
Tout le monde regarde cet
espace vert avec envie, Paris s’étend à l’ouest, on grignote progressivement
de nouveaux espaces, le processus s’accélère. Nouvelle amputation de dix
hectares d’un coup, à partir de 1958 pour installer le futur boulevard
périphérique. Et ça continue, la Ville de Paris prend 10 hectares pour des
terrains de sports. La tour EDF s’installe sur les approches, puis c’est la
Tour de l’Hôtel Sofitel, et enfin l’Aquaboulevard.
Toujours à cette époque
là, apparaît à Issy-les-Moulineaux le « Rotorcycle », un petit hélicoptère
monoplace que tente de commercialiser Hélicop-air. Échec...
Au début des années 60,
l’ALAT déménage à Villacoublay et rejoint l’Armée de l’Air, puis ce sera Buc
( qui fermera ses portes dans les années soixante dix) et Satory où se
trouvent, depuis 1954, les hélicoptères de la Gendarmerie. La société Fenwick,
elle, s’implante à Toussus-le-Noble.
La Protection Civile
demeure sur place en reprenant les hangars de l’ALAT car son parc s’élargit.
Puis des Sociétés civiles commencent à s’implanter dont celle qui deviendra
l’une des plus importantes d’Europe, Héli Union.
Dernier grand évènement
qui marque l’aéroport d’Issy-les-Moulineaux, dernier avion à fouler son sol,
une exception, c’est en 1967, pour une démonstration spectaculaire
d’appareil à décollage et atterrissage très très court : le Bréguet 941.
C’est un avion « STOL » pour Short Take Off and Landing, à ailes soufflées
par des hélices toutes liées par une tringlerie Hispano Suiza, il a quatre
moteurs, et s’est posé en 65 m. Il décolle ensuite en 115 m. C’est la
dernière image d’un avion sur ce terrain mythique.
En 1970, le Ministre des
Transports de l’époque donne le nom d’Héliport de Paris à ce qui reste du
terrain. Ce n’est plus un « aérodrome » ni un « aéroport ». C’est un
« héliport ». La superficie a nettement diminuée et ce n’est pas fini. Néanmoins, malgré tous
ces rétrécissements, les hélicoptères venant des principales villes d’Europe
continuent à fréquenter Issy-les-Moulineaux. Jusqu’à quand ? chaque année
les restrictions sont un peu plus nombreuses, pénalisantes et dissuasives.
En 1980, Max Jot et
Bernard Pasquet battaient le record du monde de vitesse sur le parcours
Issy- Battersea-Issy sur l’un des premiers Dauphins N d’Aérospatiale,
démontrant ainsi l’utilité de ce moyen de transport qui permet un gain de
temps considérable pour les hommes d’affaires. Petite anecdote, nos pilotes,
à l’atterrissage à Battersea, ont remis à la Commissaire de l’Aéroclub de
Grande Bretagne, une baguette de pain achetée une heure auparavant place
Balard.
Dans les innovations, il
faut noter l’initiative en 1984 d’une jeune Société basée sur le terrain, Hélifrance, présidée par Joël Bastien, qui essaya la liaison des aéroports
avec des appareils Dauphins, et Écureuil, au rythme de quatorze rotations
par jour. Hélifrance abandonna au bout de deux ans après avoir rencontré de
grosses difficultés liées à la météo, au transit des passagers et des
bagages sur les aéroports de Roissy-Charles-de-Gaulle et d’Orly.
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Les derniers à prélever de
l’espace seront les fonctionnaires de l’Aviation civile qui installent leur
siège à la fin des années quatre-vingt-dix dans un bel immeuble construit
pour eux en place de leurs baraquements de la rue de Vaugirard.
En 1957, on comptait 57
000 mouvements d’hélicoptères dont 18 000 rien qu’en école, en 2005,
seulement 11 187 et 5819 transits, le Salon du Bourget y étant pour quelque
chose. L’école y est interdite, comme les vols circulaires, le nombres
des mouvements quotidiens est réglementé, l’avenir s’annonce difficile, pourtant
si gouverner c’est prévoir, il serait |
clairvoyant de conserver
cet unique héliport de Paris.
Jean-Marie Potelle
Merci à
J-M Potelle pour le récit de cette
très belle rétrospective.
documents extraits des archives personnelles de
Jean-Marie Potelle
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