Refuge Vallot 4362 m le
chantier le plus haut d'Europe
par Jean-Marie Potelle - Photo panoramique © CMVM
|
A
seulement 448 m du toit de l’Europe occidentale, sur cet itinéraire qui donne
accès au sommet du Mont-Blanc dont la surfréquentation lui vaut le surnom de «
Voie Royale »,
il existe un petit bâtiment non gardé, qui se contente d’abriter une radio qui
met les alpinistes en détresse directement en liaison avec le Peloton de
Gendarmerie de Haute Montagne de Chamonix. Vallot, qui
ne se souvient pas de ce nom rendu célèbre par le premier sauvetage par
hélicoptère réalisé par Jean Boulet et Petit à plus de 4000 mètres pour secourir
une personne victime d’un malaise cardiaque, c’était en 1956 avec une des |
premières
Alouette 2. En 1957 on en
reparlera lors de la tragédie de Vincendon et Henri et la récupération par
Jean Boulet et Gérard Henry des équipages et guides lors de chute de leur H
34 en essayant de sauver les deux jeunes alpinistes.
Au même endroit, 50
m plus bas se trouve l’Observatoire Vallot. Propriété du CNRS, fermé au
public, c’est là que régulièrement des équipes de médecins se livrent à des
études sur le « Mal Aigu des Montagnes
» ,
et la vie en hypoxie. Parce qu’il ne supportait plus l’envahissement de son
laboratoire par les touristes, Joseph Vallot fait ériger, en 1893, une
cabane en bois.
En 1938, face à
l’état de délabrement qui ne permet plus à ce bâtiment de jouer de façon
très imparfaite son rôle, il est décidé de monter un abri métallique, «
petite maison de 35 m² pour laquelle la technique la plus moderne avait été
pour la première fois mise à contribution en haute montagne
».
Toute la charpente
est en Duralumin permettant ainsi une importante économie de poids. Il en va
de même pour les parois constituées de feuilles d’aluminium placées de part
et d’autre de deux minces couches de contreplaqué entre lesquelles se trouve
une couche d’Isorel.
Tous ces matériaux
seront montés à dos d’homme, les porteurs hissant des charges de 40 à 50 kg,
à une altitude où le souffle est coupé au moindre effort.
Quatre pièces
principales, pesant de 65 à 72 kg seront portées par Henri Blanc de la
Chapelle d’Abondance, seul homme capable d’une telle prouesse. C'était
vraiment un spectacle émouvant de voir ce robuste gaillard, le cou tendu, la
mâchoire crispée, ne répondant même pas aux exhortations que lui
prodiguaient les touristes stupéfaient devant cette force extraordinaire.
En 1970, le refuge
est restauré une nouvelle fois et c’est Gérard HENRY, Pilote d’Essais très
connu qui va s‘en charger et monter, avec une Alouette 2, 15 tonnes de
matériaux et de ravitaillements en une semaine. Il sera remplacé par Robert PLAY qui, lui, en montera pratiquement le double. 67 ans plus tard, la même
urgence de redonner à la Cabane un sérieux coup de jeunesse s’imposait.
Le problème d’un
chantier à cette altitude reste beaucoup la météo d’une part et l’aérologie
d’autre part. Situé sur un promontoire rocheux, exposé de ce fait aux quatre
vents, la boîte que représente ce petit édifice ne peut rester ouverte.
Chaque démontage de panneaux doit s‘accompagner dans les heures qui suivent
de son remplacement par un élément neuf.
De plus, le peu de
place pour stocker, que ce soit les matériaux à évacuer comme les pièces de
rechange, a largement contribué à un nombre élevé de rotations. Encore que
tout soit relatif. Débuté dès les premiers jours de juillet 2006, le
chantier a été terminé avant la mi novembre, la mauvaise météo d’août ne
permettant aucune journée de travail. L’équipe était composée de 4 membres,
2 spécialistes de la métallerie, par ailleurs férus de montagne (Constructions Métalliques du Val Montjoie) et 2 guides de la Compagnie de
Saint Gervais, commune sur laquelle se trouve le refuge. Seuls les guides
ont assurés un tour de rôle, les chaudronniers restant toujours les mêmes.
Une rotation en début
de semaine pour monter le personnel, le petit outillage et la nourriture et
à chaque demande de leur part, un approvisionnement en matériel.
C’est le B3 de la
Société Chamonix Mont Blanc Hélicoptère (CMBH), dirigée par
Pascal Brun, pilote très expérimenté
dans ce type de travail qu’est le levage en Haute Montagne, qui se chargea
des transports. Environ 7 tonnes de matériaux montés pour un peu plus de 10
tonnes de descendus. Le tout en une quarantaine de rotations avec des
charges d’un poids maximum de 480 kg. Les temps de vol étaient de l’ordre de
7 à 9 minutes selon l’aérologie et pour une dénivelée de 2950 mètres. A
noter l’enlèvement exceptionnel d’une charge de 720 kg à 4362 mètres sans
jamais aller dans le rouge. Pour information, il faut dire que ce jour-là le
vent laminaire soufflait à 40 Kts.
Place aux commentaires
du pilote
|
« Pour avoir volé
plus de 8000 heures sur Lama SA 315 B, je dois avouer que lorsque je suis
passé au B3 cela n’a pas été sans que je n’émette une certaine réserve... En
effet, fort d’une relative expérience sur B2 en montagne, je voyais plus dans
cet appareil une sorte d’avion de ligne qu’un hélicoptère de travail aérien.
Un peu plus de 4000 heures de vol plus tard, je ne peux que reconnaître les
performances de cette machine. Une excellente voilure, un confort d’assise
et sonore sans comparaison d’avec mon « bon vieux tracteur », une
modularité cabine sans égale tout quiétude d’esprit qu’offrent et le VEMD*
pour |
la mise en
route et le FLI pour le travail dans les limites les plus fines. Ce dernier mettant à la base tous les pilotes sur un même pied
d’égalité pour l’exploitation des performances de leurs appareils. Seule ombre au
tableau (sans vouloir faire de jeu de mots) le manque caractéristique de
visibilité avec cette planche de bord digne d’un Airbus et les ouvertures de
cabines. On a l’impression d’être enfermé dans un avion.
Si par ailleurs la
structure épurée du Lama permettait de travailler dans pratiquement tous les
secteurs de vent, il n’en va pas de même avec le B3 qui oblige, surtout en
altitude, à opérer vent de face. Ce qui nécessite, autant par souci de
sécurité que d’efficacité, de travailler avec une élingue de plus de 10
mètres (en l’occurrence pour Vallot 14 mètres). L’avantage étant
alors de disposer d’un peu de marge entre l’appareil et le sol pour se
récupérer en cas de mauvaise surprise au moment de déjauger la charge.
C’est aujourd’hui le
prix à payer pour une sécurité accrue, la dérive ayant fait sa preuve
d’élément salvateur en cas de rupture accidentelle de la transmission
arrière. Autre élément positif
de cette machine, la signature sonore, qui n’a plus rien à voir avec les
décibels du Lama. De plus en plus en montagne nous sommes critiqués pour le
bruit que nous occasionnons. L’Écureuil va dans le bon sens, même s’il reste
des améliorations à apporter.
Mais là presque plus
qu’ailleurs, c’est avant tout le comportement responsable du pilote qui
permet de marquer une nette différence
«
Il est regrettable de constater
que cette sensibilité ne soit pas innée
».
« Plus Haut, Plus
Loin »
sont, depuis quelques années maintenant, les termes de la devise de
l’entreprise CMBH. En filigrane on peut y lire « Avec toujours plus de
Sécurité ».
En tant que Pilote et
Chef d’Entreprise, je me dois aujourd’hui de reconnaître que c’est grâce à
l’exploitation de ce très bon appareil qu’est l’Écureuil B3.
* VEMD :
Vehicle and
Engine Multifunction Display -
Affichage de gestion des
paramètres moteur et véhicule.
Pascal BRUN en quelques
lignes
Chamoniard d’origine,
ancien Pilote de l’ALAT, il entre au service d’une Société basée dans les
Alpes, spécialiste reconnu du levage, il décide de s’installer en créant CMBH.
Aujourd’hui il
affiche 22 années de vol en montagne, plus de 16 000 heures de vol, plus de
1000 posés au sommet du Mont-Blanc. Il a reçu la Médaille du Secours en
Montagne et celle pour Acte de Courage et Dévouement. A 48 ans, c’est pas
mal...
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En prime, les monteurs
témoignent
« Le plus dur était
de résister au froid, à la neige et au vent qui soufflait à plus de 100
km/h. Les températures descendaient jusqu’à -15° C mais avec le vent, la
sensation de froid est de -20° C, voire -30° C. Il est alors difficile de
visser des plaques métalliques à ces températures. On avait monté des
bouteilles de vin pour fêter la fin des travaux, elles ont gelé et les
bouchons ont sauté. Le refuge, qui se trouve sur un rocher, est lesté avec
17 tonnes de pierres, il a fallu les déplacer pour refaire les fonds des
caissons dans lesquelles elles se trouvaient. Ce fut un travail de Romains « 11 heures de travail par jour ont été nécessaires pour remettre en état
Vallot ».
Jean-Marie Potelle
Un
grand merci à
J-M Potelle pour le récit de ce
chantier de haute volée.
photos © CMVM (Constructions Métalliques du
Val Montjoie) publiées avec leur aimable autorisation
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